Études de cas des stratégies de pêche dans le monde

Tracer la voie de la gestion des stocks de thon de demain

Études de cas des stratégies de pêche dans le monde

© The Pew Charitable Trusts

Les stratégies de pêche, également connues sous le nom de procédures de gestion (MP, « management procedure »), sont des cadres préalablement acceptés pour la prise de décisions de gestion de la pêche, telle que la définition de quotas. Bien que différents organismes de gestion les nomment et les définissent de manière légèrement différente, toutes les stratégies de pêche incluent les mêmes éléments de base : un programme de surveillance, des indicateurs de l’état et de la santé de la pêche avec des points de référence associés, une méthode pour évaluer la valeur des indicateurs choisis, ainsi que des règles d’exploitation (HCR, « harvest control rules ») déclenchant des mesures de gestion, selon si les indicateurs clés sont proches des points de référence ou les dépassent.

Cet outil de gestion de la pêche du 21e siècle est déjà utilisé pour améliorer la gestion des pêches nationales et internationales dans le monde (voir illustration 1). Il peut être utilisé dans le cadre des stocks pour lesquels peu de données existent ainsi que pour ceux pour lesquels les données sont nombreuses.1 Lorsque des données détaillées sont disponibles, les indicateurs se rapportent souvent à la biomasse de la population et à la mortalité par pêche, alors que la méthode d’évaluation correspond à un modèle d’évaluation du stock quantitatif et que la règle d’exploitation appliquée est basée sur un modèle. Pour les stocks pour lesquels les données sont limitées, les indicateurs sont souvent directement mesurables, la méthode d’évaluation peut correspondre à un calcul algorithmique ou statistique relativement simple et la règle d’exploitation appliquée est empirique. Dans une règle d’exploitation empirique, les données sont utilisées directement pour définir les quotas plutôt que d’ajuster cette règle aux résultats d’une évaluation des stocks ou d’un autre exercice de modélisation.

Le processus d’évaluation de la stratégie de gestion (ESG) permet d’effectuer des tests de simulation afin de mettre en place des stratégies de pêche solides. Ces cadres permettent d’évaluer un éventail de stratégies de pêche potentielles pour démontrer scientifiquement laquelle est la plus susceptible d’atteindre les objectifs de gestion malgré les incertitudes liées à la compréhension de l’écologie, au contrôle et à la mise en oeuvre des règlementations. L’évaluation de la stratégie de gestion repose sur la caractérisation de ces incertitudes plutôt que sur le fait de les ignorer, ainsi que sur la recherche de stratégies de pêche qui restent efficaces malgré ces incertitudes. Étant donné que tous les scénarios ne peuvent pas être anticipés et testés, de nombreuses stratégies de pêche incluent des clauses concernant les circonstances exceptionnelles. Ces dispositions fournissent des indications relatives aux mesures à prendre si des situations qui n’ont pas été testées par l’évaluation de la stratégie de gestion se présentent ou si elles sortent des scénarios qu’une stratégie de gestion a été conçue pour gérer.

Les stratégies de gestion solides et préventives présentent à la fois des bénéfices pour les poissons et pour les pêcheurs. Associées à un régime de conformité efficace, les stratégies de pêche contrebalancent les incertitudes scientifiques, la variabilité naturelle et l’influence politique. Ce processus contribue à la reconstitution des stocks surexploités ou maintient les populations et les pêcheries à leur niveau cible. Les stratégies de pêche saines augmentent la transparence et la prédictibilité de la gestion de la pêche, ce qui favorise la stabilité de l’industrie. Elles améliorent également l’accès au marché étant donné que certains programmes de certification des produits de la mer durables, dont le Marine Stewardship Council (MSC), requièrent la mise en place de stratégies de pêche par les pêcheries.

Un examen des stratégies de pêche existantes montre l’éventail des approches et des réussites. Alors que les organismes de gestion, y compris les organisations régionales de gestion de la pêche (RFMO) thonière, développent ces stratégies, les décideurs, les scientifiques et les parties prenantes peuvent obtenir des informations en examinant les processus de mise en oeuvre et de conception des stratégies de pêche déjà utilisées.

© CSIRO Marine Research

Commission pour la conservation du thon rouge du sud (CCSBT, « Commission for the Conservation of Southern Bluefin Tuna »)

En 2011, la CCSBT a adopté une procédure de gestion pour le thon rouge du sud que l’on trouve dans les eaux de l’hémisphère sud.2 Cette espèce fait partie des stocks de thons les plus bas du monde et est répertoriée comme espèce en danger critique d’extinction par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Cette organisation a commencé à développer une procédure de gestion en 2002, alors que la gestion traditionnelle n’avait pas réussi à inverser les baisses des stocks pendant des années. À cette époque, les scientifiques prévoyaient que la reconstitution de cette espèce nécessiterait plus d’une décennie, même si la pêche cessait entièrement. Il a fallu neuf ans pour mettre en place cette stratégie et ceux qui l’ont développée ont dû recommencer à mi-chemin après avoir découvert une sous-déclaration significative des captures. Les responsables et les scientifiques ont réalisé la majeure partie du travail en moins de cinq ans, y compris la mise en place d’une évaluation de la stratégie de gestion complète et la négociation de la procédure de gestion.

Ils ont convenu que l’objectif général de la procédure de gestion consisterait à reconstituer la biomasse du stock reproducteur (SSB, « spawning stock biomass ») à 20 % de son niveau non pêché (c’est-à-dire 20 % de SSB0) d’ici 2035. La procédure de gestion fixe des quotas pour garantir au moins 70 % de chances de réussite. Une fois le stock reconstitué à ce niveau provisoire, 20 % de SSB0 sera considéré comme le point de référence limite (LRP, « limit reference point »). L’adoption d’un point de référence cible à long terme sera ensuite déclenchée. Il sera fixé à SSBRMD - la biomasse du stock reproducteur qui produira le rendement maximum durable (RMD). Actuellement, il est estimé à 24 % de SSB0. Cela illustre la manière dont les stratégies de pêche peuvent être conçues et utilisées dans le but de reconstituer un stock, puis plus tard de maintenir la population au niveau cible.

La procédure de gestion pour le thon rouge du sud contient une règle d’exploitation empirique. Des quotas sont définis pour des périodes de trois ans en fonction de deux sources de données : un relevé aérien des juvéniles et un indice de captures par unité d’effort (CPUE) de la pêche à la palangre pour les poissons plus âgés qui ne sont pas arrivés à maturité. La stratégie de pêche limite également les variations annuelles du quota à la baisse ou à la hausse à 100 à 3 000 tonnes métriques (t), ce qui équivaut environ à une variation maximale de 20 % d’une année sur l’autre.

Depuis que les responsables se sont mis d’accord sur cette stratégie en 2011, les quotas ont augmenté tous les ans et la biomasse des poissons de 10 ans et plus a augmenté de 5 à 9 % du niveau non pêché, démontrant le succès considérable de cette nouvelle approche de gestion.

Organisation des pêches de l’Atlantique Nord-Ouest (OPANO)

L’OPANO gère les stocks de poissons du nord-ouest de l’océan Atlantique. En 2013, cet organisme intergouvernemental a mis en place son Groupe de travail conjoint sur les stratégies de gestion basées sur les risques, composé du Conseil scientifique et de la Commission des pêches3. Ce groupe dirige la mise en place de stratégies de pêche pour les stocks de l’OPANO, y compris des objectifs de gestion et les statistiques liées aux performances, conformément à son approche de précaution.4 L’OPANO a déjà mis des stratégies de pêche en place pour le flétan du Groenland et la morue de l’Atlantique.

  • Flétan du Groenland, sous-zone 2, divisions 3KLMNO, au large de Terre-Neuve-et-Labrador, Canada : En 2010, l’OPANO a adopté une procédure de gestion pour le flétan du Groenland en fonction d’une évaluation de la stratégie de gestion, après une période de développement de deux ans. L’objectif consiste à maintenir la biomasse des poissons de cinq ans et plus à 140 000 t en moyenne. Ce niveau permettra un rendement à long terme stable. La règle d’exploitation est considérée comme empirique car elle stipule que le total admissible de captures (TAC) est défini par une formule basée sur trois recherches. Elle limite également les modifications annuelles du quota qui peut être augmenté ou diminué de 5 % au maximum. L’organisation a mis en place un protocole de circonstances exceptionnelles fournissant un processus alternatif pour définir le total admissible de captures si les dynamiques sortent de l’éventail de possibilités testé par l’évaluation de la stratégie de gestion. Il a été déclenché chaque année depuis 2011 en raison des résultats extrêmes collectés par deux des relevés. L’OPANO a revu sa stratégie de pêche en 2013 et la poursuivra jusqu’en 2017, lorsque la prochaine évaluation aura lieu.
  • Morue de l’Atlantique dans la zone 3NO du sud des Grands Bancs, au large de Terre-Neuve, Canada : Une règle d’exploitation pour la morue des eaux connues sous le nom de zone 3NO est en place depuis 2007, bien que la pêche sélective fasse l’objet d’un moratoire depuis 1994 afin de donner au stock la possibilité de se reconstituer. Des points de référence limites ont été définis pour la biomasse adulte (BLIM = 60 000 t) et la mortalité par pêche (FLIM = 0,3). Étant donné que la morue de l’Atlantique est un stock en cours de reconstitution, des objectifs de gestion provisoires (reconstitution de la biomasse du stock reproducteur au-dessus de BLIM) et à long terme (maintien du stock à ou proche de BRMD) sont définis.5 Des points de référence cibles provisoires sont définis à une biomasse du stock reproducteur équivalant à 185 000 t (BCIBLE) et à un taux de mortalité par pêche de F0,1 (0,19). En outre, un point de référence du stock intermédiaire a été défini à deux fois BLIM (BRSI = 120 000 t), fournissant ainsi un tampon ou une marge de sécurité au cours de la reconstitution. La règle d’exploitation définit des totaux admissibles de captures pour des périodes de trois ans, bien que la pêche reste fermée jusqu’à ce qu’il y ait une « très faible » probabilité (définie comme moins de 10 % de probabilité) de passer sous BLIM. Une fois la pêche rouverte, la limite de captures est définie de sorte que la croissance de la biomasse du stock reproducteur soit continue, que la probabilité de baisse de la biomasse du stock reproducteur sous BLIM au cours des trois années suivantes soit faible (20 % ou moins) et que la mortalité par pêche soit inférieure à F0,1. La règle d’exploitation requiert des mesures légèrement différentes selon si la population est supérieure ou inférieure à BRSI et à BCIBLE. La règle d’exploitation actuelle n’a pas été évaluée à l’aide de l’évaluation de la stratégie de gestion, mais des analyses des règles alternatives sont prévues lorsque la biomasse s’approche de BLIM. Pour la morue de l’Atlantique, la biomasse adulte a considérablement augmenté depuis 2010, mais elle est toujours à 64 % seulement du point de référence limite.6 Par conséquent, la pêche reste fermée et la capture accessoire est « limitée à la capture accessoire inévitable ».

© NOAA/CBNMS

Pêcheries nationales sud-africaines

L’Afrique du Sud a recours à des procédures de gestion pour bon nombre de ses pêcheries nationales et est considérée comme une pionnière dans leur utilisation. Par exemple :

  • Colin : la pêche au colin au chalut est la plus importante du pays et fait partie des premières au monde à être gérée à l’aide d’une procédure de gestion. La stratégie de pêche pour le colin a été revue plusieurs fois depuis son adoption en 1990. La version actuelle est empirique et couvre à la fois les espèces d’eaux profondes et peu profondes. Le total admissible de captures est basé sur des estimations de la capture par unité d’effort ainsi que des recherches.7 Les augmentations sont limitées à 10 % par an, avec une restriction : le total admissible de captures ne peut pas dépasser 150 000 t. Les diminutions des captures admissibles sont limitées à 5 % par an, à moins que l’un des indices de biomasse de l’espèce ne baisse trop. La règle d’exploitation est conçue pour donner une capture médiane de 135 000 t par an jusqu’en 2024 tout en assurant que la biomasse du stock reproducteur médiane du colin d’eaux profondes ne descende pas en dessous de SSBRMD. Le point de référence limite pour le colin d’eaux profondes est défini au niveau médian de la biomasse en 2007. Les procédures de gestion pour le colin sont revues tous les quatre ans afin de garantir qu’elles donnent les résultats attendus. Jusqu’à présent, la capture par unité d’effort de l’Afrique du Sud connaît une augmentation constante depuis sa mise en oeuvre. Les responsables estiment que les stocks des deux espèces sont totalement reconstitués, avec une biomasse du stock reproducteur supérieure à SSBRMD, le point de référence cible. La pêche au colin au chalut est la seule pêche de poissons d’Afrique à être certifiée durable par le MSC.
  • Sardines et anchois :8 l’Afrique du Sud a mis en place des procédures de gestion pour les pêches à la sardine et à l’anchois en 1994. Elles ont toutes deux été revues de nombreuses fois. Les procédures incluent des règles d’exploitation empiriques, avec un total admissible de captures basé sur le recrutement de juvéniles (mesure du nombre de jeunes poissons) et la biomasse adulte, estimés par relevés. La règle d’exploitation vise à maintenir un taux de mortalité par pêche constant mais pourrait mener à la prise de mesures de gestion si les niveaux de la biomasse estimée par relevé sont bas ou hauts. La règle d’exploitation contient des limites relatives aux niveaux de totaux admissibles de captures maximums ou minimums, ainsi que des limites relatives aux augmentations et diminutions d’une année sur l’autre (15 ou 25 %, selon le stock). La probabilité que le stock tombe en dessous des niveaux de la biomasse historiques doit être inférieure à 10 % ou à 30 %, selon le niveau de référence. La règle d’exploitation stipule que la pêche doit être suspendue si la biomasse estimée par relevé descend en dessous de 25 % du niveau en cas de circonstances exceptionnelles, un seuil à éviter. Il est intéressant de noter que la règle d’exploitation indique également la manière de définir le total admissible de captures accessoires (TAB, « total allowable bycatch »).

Pêcheries nationales de Nouvelle-Zélande

La Nouvelle-Zélande a commencé à recourir à des stratégies de pêche pour ses pêcheries de langoustes en 1997.9 La pêche ayant connu des hauts et des bas avec les approches de gestion traditionnelles, le pays a décidé de tester des stratégies de pêche afin de reconstituer les stocks, dans le but que la probabilité de maintenir les stocks au-dessus des niveaux de référence soit élevée. Cinq des dix zones de pêche à la langouste de la Nouvelle-Zélande sont gérées à l’aide de stratégies de pêche qui sont revues tous les cinq ans et modifiées si tant est qu’il soit nécessaire.

La Nouvelle-Zélande gère ses pêcheries nationales à l’aide de la Harvest Strategy Standard (norme de stratégie de pêche) de 2008.10 Ce document impose que des stratégies de pêche soient conçues afin de garantir que les objectifs suivants soient remplis :

  • Atteindre l’objectif compatible au rendement maximal durable ou mieux avec au moins 50 % de probabilité.
  • Limiter le risque de franchir la limite non stricte à 10 % au maximum ; le fait de franchir une limite non stricte entraîne un plan de reconstitution. La limite non stricte par défaut n’est pas indiquée, mais 20 % de la biomasse non pêchée (B0) est habituellement utilisé.
  • Limiter le risque de franchir la limite stricte à 2 % au maximum ; le fait de franchir une limite stricte entraîne généralement l’interdiction de la pêche. La limite stricte par défaut correspond à 25 % de BRMD ou à 10 % de B0 (la plus élevée des deux).

Appliquée à la langouste, l’objectif est BRMD ou une valeur approximative de la taille du stock historique datant de la période à laquelle le stock avait « une bonne productivité et était visiblement sûr » (BREF). BREF est toujours égal ou supérieur à BRMD. La limite non stricte est définie à 20 % de la biomasse du stock reproducteur non pêchée ou à 50 % de la valeur approximative de BREF (la plus élevée des deux), alors que la limite stricte est définie à 10 % de la biomasse du stock reproducteur non pêchée ou à 25 % de la valeur approximative de BREF (également la plus élevée des deux). L’inclusion des valeurs approximatives de BREF est une bonne pratique car elle peut rendre les limites plus prudentes que les limites par défaut.

Les procédures de gestion de chacune des cinq pêcheries de langoustes tiennent compte de leurs situations uniques. Des quotas commerciaux sont définis chaque année en fonction des niveaux de capture par unité d’effort, mais chaque règle d’exploitation diffère légèrement des autres (voir illustration 2).

Les stratégies de pêche ont bien fonctionné pour les stocks de langoustes de Nouvelle-Zélande, avec seulement une des dix zones en dessous de l’objectif. Ce stock est toutefois bien supérieur aux limites strictes et non strictes. Les résultats des autres pêcheries du pays sont également bons grâce à la norme Harvest Strategy Standard : 72,5 % des stocks dépassent leur objectif de gestion, 82,8 % sont au-dessus des limites non strictes et 94 % sont au-dessus des limites strictes.11

Pêcheries nationales d’Australie

En 2007, l’Australie a adopté une politique de stratégie de pêche concernant ses pêcheries nationales.12 Cette politique vise à « maintenir les principaux stocks commerciaux à un niveau écologiquement durable et dans ce contexte, à maximiser le retour économique pour la communauté australienne ». Les objectifs sont les suivants :

  • Maintenir, en moyenne, les stocks de poissons à un point de référence pour la biomasse cible (BCIBLE) égal au volume du stock requis pour un rendement économique maximum (BMEY), où BMEY est environ égal à 1,2 BRMD (ou 48 % de B0 comme mesure d’évaluation indirecte).
  • S’assurer que les stocks de poissons resteront supérieurs à un niveau de la biomasse où le risque est considéré comme trop élevé pour le stock (c’est-à-dire BLIM ou la mesure d’évaluation indirecte), où BLIM est égal à 0,5 BRMD (ou 20 % de B0 comme mesure d’évaluation indirecte) ou supérieur.
  • S’assurer que le stock reste supérieur à BLIM au moins 90 % du temps.

Pour les stocks supérieurs à BCIBLE, les stratégies de pêche spécifiques au stock déterminent le taux de « diminution » nécessaire pour atteindre l’objectif. Pour les stocks entre BTARG and BLIM, les responsables, scientifiques et parties prenantes travaillent au développement d’une stratégie de reconstruction du stock dans le but d’atteindre BRMD, puis BTARG. Si un stock descend au-dessous de BLIM, un plan de reconstruction est requis, mais les mesures de gestion peuvent être plus lourdes : par exemple une fermeture de la pêche (une possibilité comprise dans la stratégie de pêche de la crevette tigrée13) ou des limitations de pêche pour parvenir à une régénération des stocks sur plusieurs années ou générations. Pour renforcer cette approche, les stocks inférieurs à BLIM peuvent être répertoriés comme « dépendants d’actions de conservation », ce qui requiert alors que le plan de reconstruction soit conjointement approuvé par l’Agence australienne de gestion des ressources halieutiques (Australian Fisheries Management Authority) et le ministre de l’Environnement.

Les points de référence basés sur la mortalité par pêche sont également utilisés pour ces stratégies. FRMD est le LRP par défaut basé sur F (FLIM), mais la valeur de FLIM diminue si le stock est inférieur à BTARG de façon à faciliter le recouvrement du stock. FTARG est fixé au taux de mortalité par pêche requis pour maintenir le stock au niveau de BTARG.

En 2013, une analyse complète de la politique concernant la stratégie de la pêche en Australie a conclu que « cette initiative constituait un franc succès pour l’amélioration de la gestion des pêcheries du Commonwealth. »14 Actuellement, aucun des stocks entièrement gérés selon cette politique ne se trouve en situation de surpêche et de nombreux stocks anciennement dans cette situation se sont régénérés.

Pêcheries nationales du Canada

En 2009, le Canada a adopté un cadre de gestion de ses pêcheries nationales avec des stratégies de pêche.15 Le pays gère des stocks fondés sur deux points de référence liés à la biomasse : un point de stock maximum de référence (USR) et un point de référence limite (LRP). Réunis, ces points de référence divisent le statut du stock en trois catégories : saine (B>USR), préoccupante (LRP<B<USR) et critique (B<LRP). Le taux de capture maximum défini est inférieur ou égal à FRMD lorsqu’il se situe dans la zone saine. Les taux de capture sont réduits lorsque les stocks se trouvent dans la zone préoccupante, et peuvent atteindre zéro dans la zone critique. Le point USR ne correspond pas forcément au point TRP, mais plutôt à l’indicateur de statut du stock. Les valeurs par défaut pour l’USR et le LRP sont respectivement définies sur 0,8 BRMD et 0,4 BRMD. Par exemple :

  • Le lieu noir, Atlantique Nord-Ouest : en 2011, le Canada a adopté une stratégie de pêche concernant le lieu noir. Le processus de développement comprenait une évaluation complète de la stratégie de gestion (MSE) et n’a duré qu’une année. La frustration ressentie au sein de l’industrie de la pêche et parmi les responsables concernant les recommandations scientifiques très changeantes induites par l’évaluation traditionnelle des stocks (ainsi que la volonté de parvenir à des captures et à un approvisionnement du marché plus stables afin d’améliorer le plan de développement) a conduit à une accélération de la progression de la procédure. La stratégie de pêche est conçue pour atteindre trois objectifs de gestion à moyen terme :16
    • Volume du stock : une prévision du volume du stock exploitable en 2021 est calculée à partir du volume du stock en l’an 2000. Le volume du stock moyen en 2021 devrait être 50 % plus important que celui de l’an 2000, tandis que le 25ème centile le plus bas ne peut pas être plus petit que le volume du stock de l’an 2000.
    • Capture : les limites de capture doivent être supérieures à 4 000 t par an de 2012 à 2016.
    • Restrictions concernant les modifications apportées aux captures annuelles et aux captures maximums : Les captures peuvent au maximum augmenter de 20 % ou de 500 t, selon la valeur la plus importante, d’une année à l’autre ; le total admissible de capture peut baisser jusqu’à 20 % d’une année à l’autre ; les captures annuelles maximum sont fixées à 20 000 t.

La stratégie de pêche du lieu noir comprend une règle d’exploitation empirique, avec des quotas fondés sur les trois dernières années d’une recherche sur l’abondance des stocks, tant qu’aucune « circonstance exceptionnelle » n’est observée (Cf. Schéma 3).

La stratégie de pêche est réévaluée tous les cinq ans. En réponse à une abondance plus faible ces dernières années, le quota a été abaissé pour 2016-2017, sans polémique et en accord avec la procédure de gestion.

  • La morue charbonnière, Colombie Britannique : en 2010, le Canada a adopté une procédure de gestion pour ses pêcheries nationales de morue charbonnière. Les totaux admissibles de capture initiaux ont été définis à partir de la procédure de gestion mise en place pour la saison de pêche 2011-2012. Le but est d’atteindre les objectifs suivants :
    • Maintenir la biomasse du stock reproducteur au-dessus du LRP de 0,4 BRMD dans 95 % des années mesurées sur deux générations de morues charbonnières (soit 36 ans).
    • Lorsque la zone préoccupante est atteinte (c’est-à-dire à 0,4 BRMD<B<0,8-1,0 BRMD), limiter la probabilité de déclin pour les dix prochaines années à très bas (5 %) au LRP, en augmentant de façon linéaire à modéré (50 %) au TRP.
    • Maintenir la biomasse reproductrice au-dessus de BRMD, ou 0,8 BRMD lors de la reconstruction à partir de la zone préoccupante,17 durant 50 % des années mesurées sur deux générations de morues charbonnières (cet objectif définit le TRP).
    • Maximiser les captures annuelles moyennes sur 10 ans, tout en remplissant les trois objectifs présentés ci-dessus.

La gestion de procédure de la morue charbonnière comprend une règle d’exploitation basée sur un modèle. La règle d’exploitation (HCR) indique que les captures doivent diminuer de façon linéaire à partir du moment où la biomasse passe au-dessous de 0,6 BRMD et doivent atteindre 0 à 0,4 BRMD(Cf. Schéma 4). La HCR de la morue charbonnière désigne également un quota minimum de 1 992 t, soit environ la moitié du niveau de captures observé juste avant l’adoption de la procédure de gestion appliquée lors de la saison de pêche 2015-2016. La morue charbonnière est toujours en surpêche, mais sa biomasse a cessé de décliner, avec une légère augmentation en 2016.

La sardine du Pacifique, États-Unis18

Depuis 2000, le Conseil de gestion des pêcheries du Pacifique régit les populations de sardines et d’autres espèces pélagiques côtières à l’aide de règles d’exploitation. La règle d’exploitation de la sardine sur la côte ouest est la suivante :

TAC19 = (biomasse - limite) x fraction x distribution

Dans ce calcul, la biomasse est estimée annuellement à l’aide d’un modèle d’évaluation du stock, la limite correspond au plus bas niveau de biomasse estimé auquel l’exploitation est autorisée (c.-à-d. 150 000 t) et la distribution est un facteur qui indique le pourcentage du stock présent dans les eaux américaines (c.-à-d. 87 %). Le quota et l’objectif F sont également influencés par une variable environnementale : la fraction se situe entre 5 et 15 % selon la température à la surface de la mer. Bien qu’elle ne soit pas considérée comme une évaluation officielle des stratégies de gestion, cette règle d’exploitation, y compris l’équation avec les valeurs de limite et de fraction, a pour la première fois été développée à l’aide d’un rigoureux exercice de modélisation en 1999, puis mise à jour en 2012.

La valeur de la limite garantit une approche prudente concernant la gestion de la pêche à la sardine, compte tenu de sa nature extrêmement changeante (alternance de cycles d’expansion et de régression de la population) et de l’importance de la sardine en tant que poisson fourrage. La sardine n’est pas considérée en surpêche tant que sa biomasse est supérieure à 50 000 t, mais sa pêche est interdite bien avant cette règle d’exploitation, lorsque sa biomasse descend au-dessous de 150 000 t. De cette façon, la règle d’exploitation déclenche un plan de régénération bien avant que le stock ne soit déclaré en surpêche. Cela a conduit à la fermeture de la pêche pendant la saison 2015-2016, mais grâce à la transparence et au caractère prévisible de cette règle, l’industrie de la pêche y était préparée et cette fermeture a été, de façon générale, bien accueillie. La pêche de la sardine a été interdite sur la côte ouest entre les années 1950 et 1990, de telles restrictions ne sont donc pas inhabituelles et la grande utilité de la règle d’exploitation est reconnue.

De plus, il existe un plafond de 200 000 t pour le total admissible de capture afin de promouvoir une stabilité de la pêche d’une année à l’autre et de se prémunir contre une capacité excessive d’exploitation en temps de biomasse importante, ou de limites de capture surévaluées pour cause d’erreurs d’estimation de la biomasse.

Une version légèrement modifiée de cette règle d’exploitation est utilisée pour la gestion du maquereau dans les eaux américaines du Pacifique.

Conclusion

Ces études de cas démontrent que les stratégies d’exploitation, lorsqu’elles sont conçues de façon appropriée grâce à un processus employant l’évaluation de stratégie de gestion, peuvent fonctionner pour un large éventail de situations écologiques et biologiques, ainsi que pour des structures de gestion. Le fait que les stratégies de pêche soient une réussite a poussé des responsables d’autres pêcheries à développer leurs propres stratégies.

Ils peuvent ainsi tirer parti des leçons apprises par les pêcheries qui utilisent déjà ce type de stratégies. Les organisations régionales de gestion de la pêche au thon (ORGP) sont particulièrement confrontées aux mêmes problématiques. En développant des stratégies de pêche, elles peuvent rationaliser leur approche en coordonnant leurs actions et en prenant des mesures complémentaires. Le thon, aux extrêmes de l’écologie, de la productivité et de la pêcherie (de la bonite à ventre rayé dans l’océan Indien au thon rouge du sud) compte désormais sur de solides règles d’exploitation ou stratégies de pêche. Il n’y a aucune raison de penser que celles-ci ne puissent pas être appliquées à toutes les espèces de thons.

Les responsables, les scientifiques et les parties prenantes de l’industrie du thon devraient travailler de concert pour accélérer le développement de stratégies de pêche. Les stocks en baisse seraient ainsi complètement régénérés et l’approvisionnement du marché serait assuré par des pêcheries durables et rentables. Le temps et les efforts investis continueront, à long terme, à porter leurs fruits.

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  9. National Rock Lobster Management Group, Review of Rock Lobster Sustainability Measures for 1 April 2014, Discussion Paper No: 2014/06 (2014), http://www.nzrocklobster.co.nz/assets/116090_2014_review_document_.pdf.
  10. New Zealand Ministry of Fisheries (Ministère de la pêche, Nouvelle-Zélande), Harvest Strategy Standard for New Zealand Fisheries (2008), http://www.fish.govt.nz/NR/rdonlyres/487988D0-F768-4297-ADDE-B5E1DFA53404/0/harveststrategyfinal.pdf?&MSHiC=65001&L=10&W=harvest+strategy%20&Pre=%3Cspan%20class%3d %27SearchHighlight%27%3E&Post=%3C/span%3E.
  11. New Zealand Ministry for Primary Industries (Ministère du secteur primaire, Nouvelle-Zélande), The Status of New Zealand’s Fisheries 2015 (2016), http://fs.fish.govt.nz/Doc/24002/status-of-nz-fisheries-2015.pdf.ashx.
  12. Australia Department of Agriculture and Water Resources (Département de l’agriculture et des ressources hydriques, Australie), “Commonwealth Fisheries Harvest Strategy Policy and Guidelines,” accessed May 16, 2016, http://www.agriculture.gov.au/fisheries/domestic/harvest_strategy_policy.
  13. Catherine M. Dichmont et al., Harvest Strategy for the Northern Prawn Fishery Under Input Controls (2014), http://www.afma.gov.au/wp-content/uploads/2014/11/Harvest-Strategy-NPF-April-2014.pdf.
  14. Australia Department of Agriculture, Fisheries and Forestry (Département de l’agriculture, de la pêche et des forêts, Australie), Final Report on the Review of the Commonwealth Fisheries Harvest Strategy Policy and Guidelines (2013), http://www.agriculture.gov.au/SiteCollectionDocuments/fisheries/ environment/bycatch/report-harvest-strategy.pdf.
  15. Fisheries and Oceans Canada, “A Fishery Decision-Making Framework Incorporating the Precautionary Approach,” dernière consultation le 10 mai 2016, http://www.dfo-mpo.gc.ca/fm-gp/ peches-fisheries/fish-ren-peche/sff-cpd/precaution-eng.htm.
  16. Fisheries and Oceans Canada, Western Component (4Xopqrs5) Pollock Management Strategy Evaluation (2011), http://www.dfo-mpo.gc.ca/Library/344352.pdf; Fisheries and Oceans Canada, Western Component (4XOPQRS5) Pollock Harvest Control Rule Update Report (2014), http://www.dfo-mpo.gc.ca/csas-sccs/Publications/ScR-RS/2014/2014_004-eng.pdf.
  17. Les tests de simulation ont révélé que l’Objectif 3 ne pouvait pas être atteint pour (a) BRMD avec la certitude nécessaire, donc (b) 0.8BRMD, le point de stock maximum de référence (USR) par défaut du cadre de stratégie de pêche du Canada, a été ajouté à l’Objectif 3 pour régénérer les stocks.
  18. Pacific Fishery Management Council (Conseil de gestion des pêcheries du Pacifique), Status of the Pacific Coast Coastal Pelagic Species Fishery and Recommended Acceptable Biological Catches, Stock Assessment and Fishery Evaluation 2014 (2014), http://www.pcouncil.org/wp-content/uploads/2014_CPS_SAFE_Text_FINAL.pdf.
  19. Techniquement, cette équation donne les lignes directrices de l’exploitation (HG), la limite annuelle de capture (ACL), ou l’objectif annuel de capture (ACT), mais correspond essentiellement au total admissible de capture (TAC).
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