Un réseau d’aires marines protégées dans l’océan Austral
Protéger l’une des plus grandes régions sauvages de la planète
Cette fiche d’information a été révisée en mai 2019 de manière à refléter l’état actuel des propositions relatives aux AMP de l’océan Austral.
En bref
L’océan Austral, qui entoure le continent antarctique, est l’un des écosystèmes marins les moins altérés de la Terre. Représentant 15 % de la surface océanique mondiale, il abrite des milliers d’espèces que l’on ne trouve nulle part ailleurs : des étoiles de mer aux couleurs brillantes, des vers bioluminescents, des pieuvres de couleur pastel, etc. L’océan Austral sert aussi d’habitat à des millions de manchots, dont le régime alimentaire est principalement constitué de krill, un petit crustacé ressemblant à la crevette. Il recèle également de nombreuses autres espèces nourricières qui représentent un maillon essentiel d’un réseau trophique à l’équilibre délicat. Les scientifiques estiment que le changement climatique et la hausse des températures – qui, à cet endroit de la planète, s’opèrent plus rapidement qu’ailleurs – modifient l’équilibre de cet écosystème.
Ces eaux constituent aussi une ressource vitale pour la santé de la planète, car elles génèrent des courants ascendants qui transportent des nutriments essentiels à toutes les mers du globe.
Afin de protéger cette région remarquable, The Pew Charitable Trusts et ses partenaires collaborent avec la Commission pour la conservation de la faune et la flore marines de l’Antarctique (CCAMLR) et les gouvernements qui en sont membres dans le but de créer un vaste réseau d’aires marines protégées (AMP) autour de l’Antarctique.
Engagement de la CCAMLR pour la création d’un réseau d’AMP
La CCAMLR est une organisation internationale qui rassemble 24 pays et l’Union européenne. Établie en 1982, elle a pour mission principale de protéger la vie marine de l’océan Austral dans toute sa diversité. Bien que la conservation soit une priorité pour la CCAMLR, elle autorise une pêche limitée dans certaines zones, conformément à son approche de gestion écosystémique. Les principales activités de pêche dans ces eaux concernent la légine et le krill antarctique.
- En 2002, suite aux recommandations faites lors du Sommet mondial sur le développement durable des Nations unies, la CCAMLR est devenue le premier organisme international à s’engager à créer un réseau d’AMP.
- L’engagement de la CCAMLR découle de la mission qu’elle s’est donnée de protéger, plutôt que d’exploiter, la vie marine de l’océan Austral, ainsi que du principe de précaution qui privilégie les mesures de conservation lorsque les meilleures données scientifiques disponibles sont limitées ou incertaines.
- En 2011, les membres de la CCAMLR ont adopté d’un commun accord la mesure de conservation 91-041, qui établit un cadre général pour l’établissement des AMP. Neuf domaines de planification2 ont été identifiés pour le développement de ces aires protégées.
Adaptation au changement climatique et stratégies d’atténuation
Certains des effets les plus marqués du changement climatique sur Terre, comme le réchauffement et l’acidification des océans3 et les changements affectant la concentration de la glace de mer et sa durée de vie4, se produisent en Antarctique. Les études démontrent que les aires marines protégées peuvent contribuer à renforcer la résilience des écosystèmes face à ces changements en éliminant les sources de pression, comme la pêche5.
- Les eaux relativement tranquilles de l’océan Austral offrent un laboratoire naturel pour étudier la façon dont les écosystèmes marins intacts réagissent à la hausse des températures et à l’acidification des océans.
- Les AMP contribuent aussi à préserver des puits de carbone, également appelés réservoirs ou puits biologiques. Les organismes marins vivants captent plus de 55 % du carbone stocké sur Terre6.
- Le krill antarctique se nourrit de plancton microscopique dans les eaux de surface de l’océan et migre vers des eaux profondes ; il injecte du dioxyde de carbone en rejetant ses excréments. On estime la quantité annuelle de dioxyde de carbone ainsi piégée à 23 millions de tonnes, soit l’équivalent des émissions produites par 35 millions de voitures.
Le tout est plus grand que la somme de ses parties
Non seulement un réseau d’AMP préserverait les liens entre les nombreux écosystèmes propres à l’océan Austral, permettant aux organismes marins de migrer entre les zones protégées pour s’y alimenter et s’y reproduire, mais il contribuerait grandement aux objectifs mondiaux de protection des océans.
- En 2016, la revue Conservation Letters a publié les résultats d’une analyse scientifique qui concluait que les AMP devraient recouvrir au moins 30 % des eaux océaniques mondiales pour atteindre des résultats de conservation probants et contribuer à la gestion et la reconstitution des stocks halieutiques en voie d’épuisement7.
- Selon une étude parue en 2014 dans la revue Nature, pour porter ses fruits, une AMP doit recouvrir une surface suffisamment importante et doit être isolée, légalement contraignante et permanente. Par ailleurs, toutes les activités d’extraction des ressources, notamment halieutiques, doivent y être interdites8.
- Des AMP répondant aux critères mentionnés ci-dessus créeraient un effet d’entraînement qui contribuerait à améliorer la santé des organismes marins vivant en dehors des zones protégées9.
Éléments clés : les neuf domaines de planification
Domaine 1: L’ouest de la péninsule Antarctique
Plus de 1,5 million de couples de manchots Adélie, papou et à jugulaire vivent sur la péninsule Antarctique.10
Domaine 2: La Géorgie du Sud-et-les Îles Sandwich du Sud
Ces eaux abritent un sanctuaire marin d’exception. Y vivent de nombreuses populations d’albatros, de manchots, de légines australes, de calmars, de poissons- lanternes, ainsi que des pieuvres, des requins et neuf espèces de poissons que l’on ne trouve nulle part ailleurs sur la planète.
Domaine 3: La mer de Weddell
On trouve des oiseaux et des mammifères marins dans toute cette région, notamment le petit rorqual antarctique, la baleine à bosse, la baleine bleue, le rorqual commun, ainsi que le phoque de Weddell, le phoque crabier et l’éléphant de mer.13
Domaine 4: L’île Bouvet et le plateau de Maud
Île la plus isolée au monde, 14 l’île Bouvet est presque entièrement couverte de glaciers. Son fond marin abrite une vie foisonnante, notamment des éponges, des mollusques, des crustacés et des vers.15
© Steve Rupp/National Science Foundation
Domaine 5: L’archipel de Crozet et le plateau Del Cano
Tous les ans, les remous pris entre deux fronts du courant circumpolaire antarctique déplacent le phytoplancton en fleur, 16 attirant les poissons et les calmars qui, à leur tour, servent à alimenter les populations locales d’oiseaux et de mammifères marins, y compris, pendant leur période de reproduction, d’importantes populations de manchots; des pétrels géants et des pétrels de Hall ; des puffins à menton blanc ; des albatros bruns et des albatros fuligineux ; mais aussi des albatros à tête grise et des albatros hurleurs, deux espèces classées vulnérables.17
© Liam Quinn
Domaine 6: Le plateau des Kerguelen
Située entre la convergence antarctique et le courant circumpolaire antarctique, la zone productive de Kerguelen est une zone d’eau libre où la vie foisonne. L’habitat au terrain accidenté situé en mer profonde alimente les baleines et les oiseaux marins lors de leur période de migration, ainsi que des populations nombreuses de prédateurs terrestres, dont le manchot royal, 18 l’otarie de Kerguelen et l’éléphant de mer.19
Domaine 7: L’Antarctique oriental
Les légines, les plus grands poissons prédateurs de l’Antarctique oriental, produisent leurs propres protéines antigel qui empêchent leur sang de se cristalliser.20 Elles peuvent mesurer jusqu’à près de deux mètres de long. Récemment, les scientifiques ont découvert que la population de manchots Adélie vivant en Antarctique oriental était deux fois plus nombreuse que l’on ne le pensait.21
Domaine 8: La mer de Ross
Cette région abrite une biodiversité remarquable, notamment plus de 150 types d’étoiles de mer et d’oursins, dont 40 espèces que l’on ne trouve nulle part ailleurs sur Terre.22 Parmi elles, on compte des baleines de Minke, des phoques de Weddell, des léopards de mer, et une population d’orques au patrimoine génétique distinct (écotype C), qui se nourrit de légine australe.23
Domaine 9: Les mers d’Amundsen et de Bellingshausen
Ces mers étant largement recouvertes de glace de mer, de vastes zones y demeurent inaccessibles aux chercheurs et aux pêcheurs. Une étude récente des populations des fonds marins a révélé que 96 % des isopodes de la région, un type de crustacé, sont inconnus des scientifiques.24
Tournons-nous vers l’avenir
L’implantation réussie d’un réseau d’AMP dans l’océan Austral constituerait un exemple remarquable de coopération mondiale face aux défis environnementaux croissants.
En 2016, la réunion annuelle de la CCAMLR a présenté un exemple d’une telle coopération, à savoir le consensus obtenu sur la désignation de la plus grande AMP au monde, dans la mer de Ross. Cette aire de 2,06 millions de kilomètres carrés25 comprend une zone de 1,55 million de kilomètres carrés en eaux libres et se prolonge jusqu’au littoral sous la barrière de glace de Ross. L’AMP, qui fait plus de trois fois la taille de la France, est entrée en vigueur en décembre 2017.
En créant l’AMP de la région de la mer de Ross, la CCAMLR a franchi la première étape nécessaire à la création d’un réseau de vastes AMP. Les prochaines étapes devront comprendre la désignation des AMP proposées pour la mer de Weddell, l’Antarctique oriental et la péninsule Antarctique (domaine 1). Des efforts supplémentaires doivent également être entrepris pour protéger le domaine 9.
Bibliographie
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