La Polynésie française va solliciter la désignation d'une vaste réserve de biosphère dans les îles Australes
Une désignation de l'UNESCO protégerait la vie marine et autoriserait des activités durables dans cet archipel isolé
Partout dans le monde, des gouvernements reconnaissent que la santé de l'océan est essentielle à toute vie sur Terre et que protéger la faune, la flore et les habitats marins peut apporter de nombreux bénéfices aux populations dont la survie et les traditions dépendent de ces eaux.
Conscient de cet enjeu, le conseil des ministres de la Polynésie française a annoncé solliciter l'intégration de l'archipel des Australes au réseau international de réserves de biosphère de l'UNESCO d'ici 2023. La décision du conseil des ministres fait suite à une forte demande locale pour la protection marine et la préservation des modes de vie traditionnels et insulaires. La réserve de biosphère serait l'une des plus vastes au monde, avec près d'un million de kilomètres carrés, dans ces eaux riches du Pacifique Sud.
De par leur isolement et leur topographie, les îles Australes abritent une biodiversité riche et conservent un taux d'endémisme élevé pour certaines espèces. L'île de Rapa, par exemple, abrite 112 espèces de coraux, 250 espèces de mollusques et 383 espèces de poissons côtiers, dont 10 % ne se trouvent nulle part ailleurs sur la planète.
Qu'est-ce qu'une réserve de biosphère ?
Les réserves de biosphère sont des aires de conservation dont l'importance est reconnue à l'échelle internationale, mais qui restent sous la juridiction souveraine des pays où elles sont situées. Elles s'étendent sur de larges surfaces et doivent s'efforcer d'être des sites d'excellence où des pratiques sont élaborées et testées pour améliorer la gestion des ressources et favoriser le développement durable. L'UNESCO aspire à ce que ces sites contribuent à la préservation des écosystèmes et de la biodiversité, favorisent un développement économique et humain durable sur les plans écologique et socioculturel, et soutiennent des projets d'éducation et de formation à l'environnement, de recherche et de surveillance.
Pour être désigné réserve de biosphère, un territoire doit abriter une aire centrale strictement protégée destinée à favoriser la conservation, une zone tampon servant à promouvoir les activités de recherche et de sensibilisation, et une zone de transition pour encourager un développement économique et humain durable sur les plans socioculturel et écologique, comme la pêche artisanale et le tourisme durable. Les candidats à la désignation doivent également planifier la gestion des activités humaines au sein de la zone tampon et de la réserve.
L'UNESCO a créé un réseau international de réserves de biosphère qui répondent à ces critères, protègent les principaux écosystèmes de la planète et servent de modèle à une gestion intégrée des milieux terrestres, marins, et de la biodiversité.
Plus de 700 réserves de biosphère sont actuellement réparties dans 124 pays, soit une superficie totale de 6,8 millions de kilomètres carrés. La réserve de biosphère de l'archipel des Australes, en fonction de la superficie qui sera proposée, pourrait représenter près de 15 % des écosystèmes terrestres et côtiers protégés sous la désignation de réserve de biosphère de l'UNESCO.
Les réserves de biosphère existantes en Polynésie française
La tradition du « rahui », c'est-à-dire la gestion durable des ressources naturelles d'une zone, est importante pour les populations des îles du Pacifique, et la réserve de biosphère de l'archipel des Australes serait la deuxième réserve de biosphère de la Polynésie française. En 1977, l'UNESCO a désigné la Commune de Fakarava comme réserve de biosphère. Située dans l'archipel des Tuamotu, un ensemble de sept îles coralliennes basses et d'atolls, la réserve s'étend depuis 2016 sur 19 867 km² (19 785 km² de marin et 82 km² de terrestre).
Chaque île corallienne comprend une zone centrale entourée d'une zone tampon et d'une zone de transition, comme l'exige l'UNESCO, afin de protéger les nombreuses espèces endémiques de l'archipel, comme le Martin-chasseur des Gambier, tout en préservant l'économie locale. Les zones tampons sur l'atoll le plus peuplé de l'archipel, Fakarava, favorisent le développement durable grâce à la plongée et à l'écotourisme, tandis que la zone de transition soutient des activités économiques telles que la pêche, la perliculture et la production de coprah.
Les réserves de biosphère d'archipel à travers le monde
Le site de l'archipel des Australes proposé à l'UNESCO est unique de par sa taille et son isolement, mais d'autres pays ont créé des réserves de biosphère de grande taille, telle la réserve de Taka Bonerate-Kepulauan Selayar en Indonésie. Désignée réserve de biosphère en 2015, elle s'étend sur 44 000 kilomètres carrés et est constituée de plusieurs petites îles coralliennes, récifs et atolls. Comme l'archipel des Australes, elle est un haut lieu de la biodiversité abritant plus de 900 espèces, dont des tortues, des dauphins et des baleines. Les forêts de mangrove constituent un refuge pour la reproduction des poissons. Malgré les mesures de protection, les chercheurs ont remarqué que la pêche autorisée nuit aux récifs coralliens de Taka Bonerate-Kepulauan Selayar.
Certaines réserves de biosphère, comme celle qui entoure l'atoll de Baa dans les Maldives, sont conçues pour une protection renforcée de l'écosystème. Bien que de taille relativement modeste (1 400 kilomètres carrés), ce site abrite l'un des plus importants groupes de récifs coralliens de l'océan Indien et favorise la circulation des larves planctoniques entre l'est et l'ouest. La réserve se compose de neuf aires principales placées sous étroite surveillance, où toute activité d'extraction est proscrite. Dans sa zone tampon, seules les activités respectueuses de l'environnement et les utilisations dites « non nuisibles et non extractives » sont autorisées.
Il est prévu que les habitants de l'archipel des Australes contribuent à la désignation des spécificités du projet de réserve de biosphère, avant que celui-ci ne soit approuvé par le gouvernement de la Polynésie française, puis soumis à l'UNESCO. En s'appuyant sur la tradition du « rahui », la Polynésie française peut mettre en place une gestion qui favorise la protection et la biodiversité, tout en encourageant un développement économique durable pour les résidents de l'archipel.
Jérôme Petit dirige le projet Héritage des océans de Pew et Bertarelli en Polynésie française et Donatien Tanret en est le chargé de mission.