Préservation de la dernière grande forêt de la Terre : mode d'emploi
La forêt boréale canadienne est l'un des plus grands trésors naturels sur la planète. S'étendant du Yukon à l'ouest à Terre-Neuve-et-Labrador à l'est, cette région écologique diversifiée abrite les dernières grandes terres humides et forêts intactes qui restent dans le monde.
Des scientifiques ont découvert qu'entre un et trois milliards d'oiseaux nicheurs représentant 300 espèces habitent la forêt boréale canadienne. L'abondante faune et les eaux douces de cette forêt soutiennent les communautés autochtones depuis des millénaires.
Par ailleurs, la forêt boréale est riche en ressources naturelles prisées par de plusieurs industries excavatrices. Des multinationales forestières, minières, pétrolières, gazières et hydroélectriques sont toutes actives dans la forêt boréale canadienne.
Déjà, quelque 730 000 kilomètres carrés (180 millions d'acres) de la forêt boréale ont été perturbés par les industries excavatrices et leurs infrastructures. Il s'agit d'une étendue plus vaste que l'État du Texas. Pourtant, la réglementation sur la gestion de l'extraction des ressources n'a pas évolué aussi rapidement que l'empreinte laissée par les activités industrielles et les projets des industries.
"La région de la forêt boréale du Canada est l'une des dernières grandes régions écologiques intactes et vierges sur la planète."
-Steve Kallick
Une question d'équilibre
La question à savoir comment établir un équilibre entre la conservation et le développement économique de la forêt boréale a donné lieu à d'innombrables heures de discussions entre représentants gouvernementaux, industries et dirigeants communautaires locaux. Cependant, dans un rapport publié cette semaine, un groupe international de scientifiques réputés propose un mode d'emploi.
Ce rapport, intitulé Préservation de la dernière grande forêt de la Terre : mode d'emploi, sera rendu public pendant l'assemblée annuelle de l'ICCB (International Congress for Conservation Biology. Il résume les récentes études menées sur l'état de la forêt boréale et établit une série de lignes directrices précises, fondées sur des données scientifiques, pour assurer un équilibre entre la conservation et le développement de la forêt boréale.
Voici quelques-unes des principales lignes directrices présentées dans le rapport:
- Le développement doit être interdit de façon permanente dans au moins la moitié (50 pour cent) de la région de la forêt boréale pour assurer la pérennité des processus écologiques et des espèces fauniques qu'on y trouve.
- Les impacts potentiels sur la biodiversité et l'écosystème des activités industrielles sur les terres de la forêt boréale à l'extérieur des zones où le développement est interdit doivent être minimisés.
- L'aménagement du territoire doit se faire en amont des décisions concernant le développement industriel dans la forêt boréale et doit être dirigé par les communautés locales. Une attention particulière doit être portée aux opinions et aux préoccupations des collectivités autochtones établies dans la région.
- Les impacts du développement et des autres utilisations des terres de la forêt boréale doivent être rigoureusement surveillés et évalués exhaustivement par des experts indépendants à intervalles réguliers.
« Étant donné que des pressions de plus en plus fortes s'exercent sur les régions de la forêt boréale du Canada, il est évident que le maintien des valeurs de conservation d'importance mondiale de cette forêt dépendra de grands espaces protégés, affirme Dr Jeff Wells, co-auteur du rapport et conseiller scientifique pour la campagne internationale de Pew pour la conservation de la forêt boréale. Il est prioritaire de confier l'établissement et la gestion de ces espaces aux collectivités autochtones. »
Une occasion historique
Le groupe a également identifié un certain nombre d'occasions immédiates où les décideurs pourraient s'inspirer des initiatives et discussions d'aménagement du territoire en cours pour réaliser d'importants gains sur le plan de la conservation de la forêt boréale canadienne. Voici quelques-unes des suggestions formulées dans le rapport :
- Évaluer de nouvelles façons de protéger l'habitat de la population boréale de caribou des bois. En 2012, dans le cadre de l'Entente sur la forêt boréale canadienne, l'Association des produits forestiers du Canada s'est engagée à ne pas exploiter un territoire de 283 000 kilomètres carrés (70 millions d'acres) dans l'aire de répartition de la population boréale de caribou des bois. Il faut envisager la protection de ce territoire à long terme.
- Aménager le territoire de la forêt boréale en Ontario et au Québec. Ces dernières années, des gouvernements provinciaux se sont engagés à protéger 50 pour cent de leurs régions nordiques. Un aménagement du territoire dirigé par les Autochtones doit commencer immédiatement dans l'optique d'établir les zones de 10 000 à 20 000 kilomètres carrés (de 2,5 millions à 4,9 millions d'acres) les plus importantes sur le plan écologique. La priorité la plus élevée doit être accordée aux zones interdites à l'exploitation forestière en vertu de l'Entente sur la forêt boréale canadienne afin d'en faire des zones protégées.
- Accepter de nouvelles zones protégées au Québec. Les zones identifiées par les Cris entre la baie James et le lac Mistassini, y compris la région de la vallée de la rivière Broadback, doivent être désignées zones protégées. La protection des vastes espaces forestiers intacts de la région des Montagnes Blanches, dans le Nitassinan de Mashteuiatsh et de Pessamit, doit également être considérée prioritaire.
Le temps presse
Le temps commence à presser pour protéger la région et son écosystème unique contre des changements potentiellement irréversibles.
Aujourd'hui, on ne trouve plus de caribous des bois dans la partie australe de la forêt boréale. La plupart des populations saines de saumons de l'Atlantique n'empruntent plus que les rivières non aménagées des régions boréales du Québec et de Terre-Neuve-et-Labrador. Les scientifiques se disent préoccupés par les effets climatiques mondiaux potentiels de la libération du carbone stocké dans les sols et les plantes de la forêt boréale.
Cependant, moyennant une planification communautaire proactive et le recours à des lignes directrices fondées sur des données scientifiques claires, il serait possible d'assurer un juste équilibre entre les besoins de conservation et les pressions de développement de la forêt boréale du Canada.
« La région de la forêt boréale du Canada est l'une des dernières grandes régions écologiques intactes et vierges sur la planète, déclare Steve Kallick, directeur des programmes mondiaux de nature sauvage de Pew. Heureusement, plusieurs dirigeants gouvernementaux, autochtones et industriels mettent en œuvre des idées visionnaires pour équilibrer la conservation et le développement. Nous avons grand espoir que la région de la forêt boréale du Canada demeure un des grands trésors écologiques de la planète. »
Conserving the World's Last Great Forest Is Possible: Here's How