Des aires marines protégées au-delà de la juridiction nationale

Des aires marines protégées au-delà de la juridiction nationale
Shutterstock

Les aires marines protégées et les réserves en haute mer pourraient s'avérer très utiles pour protéger la biodiversité marine.

En bref

Bien que nous n’en sachions encore très peu sur les écosystèmes océaniques complexes au large, nous savons d’ores et déjà que la haute mer et les grands fonds océaniques, que l’on percevait autrefois comme des déserts marins stériles, foisonnent d’êtres vivants. Les monts sous-marins abritent des créatures que l’on ne retrouve nulle part ailleurs sur Terre. Des sources hydrothermales donnent le jour à certains des organismes les plus anciens de la planète, et des couloirs de migration essentiels participent à la vie de certaines espèces qui, à leur tour, soutiennent à la fois les écosystèmes et les communautés qui en dépendent pour vivre dans le monde entier. Tout ceci se trouve au-delà de la juridiction des États et au-delà de la capacité des gouvernements à protéger cette zone seuls. Les aires marines protégées (AMP), et en particulier les réserves, comptent parmi les meilleurs outils à notre disposition pour protéger ces merveilles.

Qu’est-ce qu’une AMP et en quoi est-elle importante ?

L’Union internationale pour la conservation de la nature (ou IUCN) définit une aire protégée comme « un espace géographique clairement défini, un espace reconnu, réservé et géré par des moyens légaux ou autres afin de parvenir à protéger sur le long terme la nature, ainsi que les services écosystémiques et les valeurs culturelles qui en dépendent1 ». En clair, une aire marine protégée (AMP) est une zone qui doit faire l’objet d’une gestion spécifique visant à « conserver la diversité et la productivité biologiques (y compris les systèmes écologiques entretenant la vie) des océans2 ». Dans une AMP, certaines activités humaines peuvent être autorisées ; dans une réserve, ces activités sont strictement limitées, ce qui contribue à maximiser les bénéfices en matière de conservation3.

Il est démontré que des AMP bien conçues et bien gérées, en particulier les réserves entièrement protégées, préservent la biodiversité4, offrent des bénéfices écologiques aux écosystèmes voisins5 et protègent les prédateurs, ce qui contribue à maintenir la stabilité de l’écosystème6. Ces aires peuvent également servir d’importants points de référence climatiques pour les scientifiques, et même si l’établissement d’une AMP ou d’une réserve n’arrêtera pas l’acidification ou le réchauffement océanique, cela pourra contribuer à renforcer la résilience des écosystèmes en éliminant d’autres facteurs de stress. Ces bénéfices sont amplifiés lorsque les AMP sont grandes, bien gérées, isolées et établies pour une longue durée7. Les AMP sont de ce fait un outil essentiel pour les décideurs politiques cherchant à transmettre un environnement marin sain aux générations futures.

Les gouvernements du monde entier ont reconnu la nécessité et la valeur d’une dynamique forte de conservation marine, y compris la nécessité et la valeur des bénéfices qu’offrent les AMP et les réserves. En 2015, les 193 États membres des Nations Unies ont confirmé leur engagement à conserver au moins 10 % des zones côtières et marines d’ici 2020, intégrant ainsi un objectif de la Convention sur la diversité biologique dans le Programme de développement durable à l’horizon 2030 des Nations Unies.

C’est un bon début mais les scientifiques recommandent une approche plus ambitieuse de la conservation marine. En 2016, une étude publiée dans la revue Conservation Letters confirmait que 30 % des océans de la planète devraient être protégés par des AMP ou des réserves8. Ceci correspond à la recommandation adoptée par les participants au Congrès mondial des parcs en novembre 2014 : il convient d’augmenter de toute urgence la zone océanique gérée par un réseau d’AMP bien connectées, dans le but de protéger au moins 30 % de chaque habitat océanique et 30 % de l’ensemble des océans dans le monde9.

Principales caractéristiques d’un système d’AMP de haute mer

La protection de si grandes régions de l’océan ne peut se faire sans intégrer des régions de haute mer dans ce réseau d’AMP bien connectées. Malgré la nécessité de protéger au plus vite davantage de régions océaniques, les États ne disposent pas de mécanismes permettant de créer des AMP ou des réserves complètes et mondialement reconnues en haute mer.

À la place, il existe un patchwork d’organismes, y compris des organisations régionales de gestion de la pêche, qui adoptent des mesures politiques pour certaines zones de l’océan ou certaines activités (comme la pêche au thon). Mais ces organismes ne disposent pas du mandat juridique nécessaire pour établir des AMP ou pour adopter et faire appliquer des mesures de conservation qui protègeront la biodiversité dans tout un écosystème.

Un nouvel accord international sur la biodiversité en haute mer peut y remédier en offrant :

  • Un mécanisme qui permette d’identifier et de désigner de possibles AMP en haute mer : Un cadre dans lequel les États peuvent proposer et approuver la désignation d’AMP en haute mer fournirait un moyen d’établir ces AMP.
  • Des critères fondés sur la science pour évaluer les possibles AMP : La mise en place d’AMP en haute mer devrait se fonder sur des considérations environnementales et être fermement encadrée par des normes scientifiques. Ces critères peuvent s’appuyer sur ceux adoptés dans le cadre de la procédure de la Convention sur la diversité biologique visant à identifier les aires marines d’importance biologique ou écologique. Une commission d’experts scientifiques devrait ensuite utiliser ces critères pour évaluer les propositions de nouvelles aires protégées.
  • Un cadre pour l’adoption d’objectifs de conservation significatifs et de plans de gestion applicables : Il serait inefficace de laisser la mise en oeuvre des AMP aux organismes sectoriels existants parce que la plupart de ces organismes ne disposent pas d’un mandat pour protéger la biodiversité de manière générale. Des AMP de haute mer accompagnées d’objectifs concrets, de plans de gestion et de protocoles d’application ont de meilleures chances de véritablement protéger la biodiversité que les soi-disant « parcs de papier » mis en place sans ces attributs.
  • Un moyen de consulter et de collaborer avec les organisations régionales et sectorielles existantes : Dans le cadre de ce nouvel instrument, les parties devraient être en mesure de consulter formellement les organismes sectoriels existants et d’autres organisations similaires. Ces consultations permettraient d’éviter tout conflit entre les mesures de gestion adoptées dans le cadre du nouvel instrument et les obligations préexistantes mises en place par ces organisations. Les États peuvent également tout mettre en oeuvre pour encourager les organisations à adopter des mesures complémentaires reconnaissant les AMP de haute mer, mais ils ne devraient tolérer aucun retard dans la mise en place ou la mise en oeuvre de ces AMP. Par exemple, l’Organisation maritime internationale pourrait reconnaître une nouvelle AMP comme zone maritime particulièrement vulnérable, signalant ainsi à tous les membres de l’OMI que la zone est protégée.

Principales caractéristiques d’un cadre réussi pour les AMP

En se fondant sur les enseignements tirés des zones côtières, et dans le but d’assurer la réussite du système d’AMP en haute mer, un tel cadre devrait au moins prévoir :

  • La consultation régionale des acteurs, si nécessaire : Bien que la haute mer n’appartienne à aucun pays en particulier, ni à aucune organisation ou entreprise, des zones présentent un intérêt particulier pour certains acteurs régionaux. Les États envisageant la création d’une AMP devraient consulter ces acteurs. Une coordination de ce type permettrait d’assurer le soutien des groupes les plus susceptibles d’être concernés par la création de la zone protégée. Dans le même esprit, une proposition introduite avec le soutien d’une région particulièrement concernée devrait être considérée prioritaire par l’ensemble des autres parties à l’instrument.
  • Le suivi et l’application : Le premier niveau de suivi et d’application des AMP de haute mer devrait être pris en charge par les États ; ils ont l’autorité de prendre des mesures si, par exemple, un des navires battant leur pavillon viole les règles d’une aire protégée. L’émergence de technologies, telles que le suivi par satellite des activités pratiquées en mer, pourrait y contribuer. Les parties qui ont adopté l’instrument pourraient ainsi se communiquer régulièrement des informations sur leurs efforts relatifs à la mise en oeuvre de l’AMP. Dans le cadre d’autres accords internationaux, des commissions ont été nommées pour évaluer les rapports sur l’application de la réglementation dans des contextes similaires. Elles pourraient se révéler tout aussi utiles dans le cadre d’un nouvel instrument.

Conclusion

Les AMP et les réserves de haute mer pourraient être des outils extrêmement efficaces pour protéger la biodiversité marine et aider les gouvernements à respecter leur engagement de protéger davantage de zones océaniques. En travaillant sur un traité destiné à protéger la biodiversité en haute mer, l’ONU devrait inclure les éléments repris ci-dessus, ce qui permettra de mettre en place des AMP et des réserves de haute mer efficaces.

Notes

  1. Jon Day et al., « Guidelines for Applying the IUCN Protected Area Management Categories to Marine Protected Areas », Best Practice Protected Area Guidelines Series, no 19 (2012), https://cmsdata.iucn.org/downloads/iucn_categoriesmpa_eng.pdf.
  2. Ibid.
  3. Ibid.
  4. Sarah E. Lester et al., « Biological Effects Within No-Take Marine Reserves: A Global Synthesis », Marine Ecology Progress Series, vol. 384 (2009) : p. 33-46, doi:10.3354/meps08029.
  5. Rene A. Abesamis et Garry R. Russ, « Density-Dependent Spillover From a Marine Reserve: Long-Term Evidence », Ecological Applications vol. 15, no 5 (2005) : p. 1798-1812, http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1890/05-0174/abstract ; Hugo B. Harrison et al., « Larval Export From Marine Reserves and the Recruitment Benefit for Fish and Fisheries », Current Biology, vol. 22, no 11 (2012) : p. R444-446, doi:10.1016/j. cub.2012.04.008.
  6. Garry R. Russ et Angel C. Alcala, « Marine Reserves: Long-Term Protection Is Required for Full Recovery of Predatory Fish Populations », Oecologia, vol. 138, no 4 (2004) : p. 622-627, doi:10.1007/s00442-003-1456-4 ; Gregory L. Britten et al., « Predator Decline Leads to Decreased Stability in a Coastal Fish Community », Ecology Letters, vol. 17, no 12 (2014) : p. 1518-1525, doi:10.1111/ele.12354 ; Jordi Bascompte, Carlos Melian et Enric Sala, « Interaction Strength Combinations and the Overfishing of a Marine Food Web », Proceedings of the National Academy of Sciences, vol. 102, no 15 (2005) : p. 5443-5447, doi:10.1073/meps08029.
  7. Graham J. Edgar et al., « Global Conservation Outcomes Depend on Marine Protected Areas With Five Key Features », Nature, vol. 506, no 7487 (2014) : p. 216-220, doi:10.1038/meps08029.
  8. Bethan O’Leary et al., « Effective Coverage Targets for Ocean Protection », Conservation Letters, doi: 10.111/conl.12247.
  9. Recommandations du thème transversal « Marin » lors du 6e Congrès mondial des parcs de l’UICN à Sydney, Australie (12-19 nov. 2014), http://worldparkscongress.org/downloads/approaches/ThemeM.pdf.