Pour la Journée mondiale du thon, penchons-nous enfin sur le sort des espèces tropicales

Avec des populations de plus en plus menacées dans l'Atlantique et le Pacifique, les gestionnaires doivent durcir les règles.

Pour la Journée mondiale du thon, penchons-nous enfin sur le sort des espèces tropicales

Un thon obèse de l'Atlantique chasse des sardines. Le thon obèse de l'Atlantique fait partie des espèces tropicales de thons pour lesquelles une amélioration de la gestion de la pêche ne pourrait être que bénéfique.

Paulo Oliveira/Alamy Stock Photo

Les espèces tropicales de thons (listao, thon obèse et thon albacore) constituent des ressources économiques importantes pour les communautés côtières du monde entier et sont également très populaires sur les étals des supermarchés et dans les bars à sushi. Ensemble, ces trois espèces représentent un chiffre d'affaires annuel de presque 40 milliards de dollars au point de vente final, ce qui a poussé 8 pays insulaires du Pacifique à instaurer une Journée mondiale du thon le 2 mai 2011. En 2016, les Nations unies ont officiellement retenu cette date pour rappeler l'importance d'une gestion durable du thon.

Pourtant, les inquiétudes entourant l'avenir de cette espèce n'ont pas disparu. Depuis 30 ans, les flottes de senneurs utilisent toujours plus de dispositifs de concentration de poissons (DCP), des systèmes flottants construits par l'homme qui concentrent les poissons en certains points des océans, et ont ainsi pu augmenter considérablement leurs captures de listaos. Mais cette évolution a fini par avoir un impact sur les populations de thons obèses et albacores. En effet, les DCP attirent non seulement les listaos, mais également les thons obèses et albacores juvéniles. Ainsi, l'augmentation de la pêche du listao par les DCP s'est traduite par une diminution du nombre de thons obèses et albacores atteignant l'âge adulte et donc de la disponibilité de ces espèces pour les équipages utilisant d'autres équipements, comme les palangriers et les cannes à pêche.

Par ailleurs, les organisations internationales chargées de la protection du thon obèse et du thon albacore étant également chargées de la gestion du listao, elles se sont montrées réticentes à adopter des mesures visant à réduire l'impact des DCP sur la population de ces deux premières espèces, de peur de nuire au commerce du listao.

C'est ainsi que le statu quo prévaut depuis des années, et ses conséquences sont visibles dans le monde entier, en partie parce que les gestionnaires cherchent aussi à déterminer dans quelle mesure limiter la pêche par senne et palangrier. La population de thons obèses du Pacifique, qui subit également la pression de la pêche des adultes par les palangriers, a également diminué. Par conséquent, les scientifiques recommandent d'éviter toute nouvelle augmentation de la mortalité par pêche de cette espèce. Les scientifiques estiment que le thon obèse et le thon albacore font déjà l'objet d'une surpêche dans l'Atlantique. D'après une analyse basée sur les niveaux de capture de 2016, le stock de thons obèses n'a que 38 % de chances de se reconstituer d'ici 2028. Pourtant, en raison de contrôles insuffisants de la part des gestionnaires internationaux, les captures de ces deux espèces ont dépassé les quotas dans l'Atlantique en 2016. 

Matériaux permettant de construire des DCP entassés sur le pont d'un senneur en Micronésie.

The Pew Charitable Trusts

Des changements s'imposent de toute urgence

La Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique (CICTA), l'organisation chargée de la gestion des thons tropicaux dans l'Atlantique, se doit d'adopter, lors de sa réunion annuelle de novembre, une nouvelle mesure de protection des espèces tropicales de thons, notamment un plan révisé de reconstitution des stocks de thons obèses. Pour être efficace, cette nouvelle mesure de la CICTA doit :

  • Fixer le quota de pêche du thon obèse de l'Atlantique à un niveau donnant au stock au moins 70 % de chances de se reconstituer d'ici 2028 et s'assurer que les captures totales, à la fois des acteurs mineurs et majeurs, ne dépassent pas ce quota global.
  • Permettre de diminuer le nombre de captures de thons obèses et albacores juvéniles dans l'Atlantique par le biais d'une révision de la gestion des DCP, notamment en réduisant le nombre de DCP pouvant être déployés et en limitant la pêche à la senne coulissante autorisée sur les bancs de thons créés par les DCP
  • Garantir que les gestionnaires de la CICTA adoptent une méthode plus transparente et proactive, à travers l'approche plus moderne que constitue la « procédure de gestion ». Selon cette approche, les gestionnaires conviennent en amont des objectifs et des règles de capture d'un stock de poisson afin de s'assurer de la réalisation de ces objectifs. Pour le thon tropical, il s'agit de permettre un retour, puis un maintien à long terme des stocks à des niveaux viables. La CICTA doit accomplir suffisamment de progrès cette année afin d'être en mesure de respecter la date butoir de 2020 pour l'adoption de procédures de gestion applicables aux stocks de thons tropicaux.

Dans l'océan Pacifique occidental et central, les thons tropicaux sont gérés par la Commission des pêches pour le Pacifique occidental et central (CPPOC). Bien que l'état des stocks de thons obèses y soit meilleur que dans l'Atlantique, le nombre de poissons diminue et les DCP prolifèrent à une vitesse alarmante. La CPPOC a mis en place des limites de capture pour le thon obèse applicables aux flottes de palangriers des principaux pays pêcheurs et a interdit aux senneurs d'utiliser des DPC pendant une période spécifique de l'année. Malgré ces efforts, les flottes de senneurs utilisant des DCP pourraient pêcher jusqu'à quatre fois plus de thons obèses que les flottes de palangriers. Par ailleurs, il semblerait qu'une restriction fondée sur des données scientifiques du nombre de fois que les navires peuvent utiliser des DCP permettrait de limiter plus efficacement l'impact des senneurs sur le thon obèse.

Pour mieux comprendre et donc réguler l'utilisation des DCP, les signataires de l'Accord de Nauru, 8 pays membres de la CPPOC dans les eaux desquels a lieu plus de 90 % de la pêche par DCP gérée par la commission, utilisent l'imagerie satellite pour mieux suivre ces dispositifs. Toutefois, pour assurer la durabilité des pêcheries de thons obèses et tropicaux dans le Pacifique occidental et central, la CPPOC doit :

  • Prendre des mesures permettant de s'assurer que les prises de thons obèses réalisées par les palangriers et les senneurs respectent les limites recommandées par les scientifiques et, dans le cas des senneurs, remplacer les périodes d'interdiction d'utilisation des DCP par une limitation scientifique du nombre de fois où les navires peuvent utiliser ces dispositifs.
  • Avancer sur l'élaboration d'une stratégie de pêche pour le thon obèse du Pacifique occidental et central afin de pouvoir adopter une stratégie complète d'ici 2021. L'objectif est ainsi de maintenir la population à un niveau durable sur le long terme, en limitant le risque que le stock ne tombe à un niveau critique.

À l'occasion de cette Journée mondiale du thon, les gestionnaires du Pacifique et de l'Atlantique doivent agir sans tarder pour garantir la durabilité à long terme des pêcheries de thons tropicaux et ne plus se laisser imposer leurs actions par des pressions économiques et politiques à court terme. En prenant la bonne décision dès maintenant, il est possible d'assurer la pérennité des stocks de poissons et des personnes qui en dépendent.

Rachel Hopkins est la directrice par intérim de la campagne de préservation du thon au niveau mondial pour The Pew Charitable Trusts.