L’Accord du Cap

7 raisons d’améliorer la sécurité sur les navires de pêche

© Madame Tohlala / AFP/ Getty Images

Résumé

La pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) menace la durabilité de la pêche à l’échelle mondiale. Mais il ne s’agit pas seulement d’un problème environnemental. La pêche illicite est désormais largement associée à des crimes tels que la piraterie, le trafic d’êtres humains, ou la contrebande d’armes et de drogues. L’Organisation maritime internationale (OMI), l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et l’Organisation internationale du travail (OIT) ont reconnu l’existence de liens entre la pêche INN et des crimes menaçant la sécurité et le bien-être des équipages.1

La pression sur les stocks mondiaux de poissons n’a jamais été aussi forte. Les flottes pouvant désormais pêcher dans pratiquement n’importe quelle partie des océans de la planète, un trop grand nombre de navires de pêche se disputent un stock de poissons en déclin. La surexploitation des stocks se traduit par une diminution des captures et donc des profits. Pour contourner le problème et maximiser leurs profits, certains opérateurs ont recours à la pêche illicite, n’hésitant pas à pêcher sans licence ni autorisation adéquate, ou dans des zones protégées.

Lutter contre ce comportement s’avère particulièrement difficile en l’absence d’obligations d’identification et de suivi des navires. Il est indispensable d’utiliser des identifiants permanents uniques, tels que le numéro OMI qui fournit des informations sur l’origine, l’historique et l’état opérationnel d’un navire, pour identifier correctement les navires. De plus, en l’absence d’obligation pour les navires d’être équipés de dispositifs de signalisation de leur position, tels que les systèmes d’identification automatique ou les systèmes de surveillance des navires, les autorités n’ont aucun moyen de différencier les opérateurs honnêtes des peu scrupuleux. La combinaison de toutes ces lacunes fait que les criminels peuvent agir sans craindre d’être arrêtés.

Les pêcheurs peu scrupuleux peuvent être tentés de limiter leurs investissements dans la maintenance, la réparation et les équipements de sécurité de leurs navires, qui deviennent alors dangereux et mal équipés. Les équipages peuvent se voir obligés de travailler de longues heures sous une forte pression, ce qui engendre plus de stress et de fatigue, et les opérateurs peuvent être amenés à prendre davantage de risques, comme pêcher dans des conditions météorologiques dangereuses. Tous ces facteurs augmentent les risques de blessure ou d’accident mortel.

7 raisons de s’intéresser à la sécurité sur les navires de pêche

1. La pêche commerciale est l’une des professions les plus dangereuses au monde.2

Les pêcheurs sont souvent amenés à manipuler des équipements dangereux et à travailler de longues heures dans des conditions périlleuses sans repos suffisant. Les taux de blessures sont élevés, les évaluations des risques rarement effectuées et les soins médicaux souvent inaccessibles.

2. Le taux d’accidents sur les navires de pêche est estimé être 10 fois supérieur à celui des navires marchands.3

L’Organisation internationale du travail estime qu’au moins 24 000 personnes meurent chaque année sur les navires de pêche et que 24 millions sont blessées.4 Les causes les plus fréquentes de ces pertes sont les naufrages, les incendies, les chavirements et les collisions. Ces chiffres contrastent fortement avec les 292 marins de la marine marchande qui meurent ou disparaissent chaque année en moyenne.5 Cependant, le manque de données ne permet pas de déterminer si ces statistiques sont exactes. Dans la mesure où, dans l’industrie de la pêche, ceux qui sont le plus vulnérables n’ont souvent pas la possibilité de signaler ce qui se passe sur leur navire, le nombre d’accidents rapportés est probablement inférieur à la réalité.

3. Aucun instrument juridique contraignant ne réglemente la conception, la construction et l’équipement des navires de pêche dont dépend en grande partie la sécurité des pêcheurs et des observateurs.

Deux millions de personnes travaillent dans le secteur du transport maritime, une industrie hautement réglementée par des instruments juridiques tels que la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer6 (SOLAS), un traité multilatéral de 1974 destiné à s’assurer que les États du pavillon signataires respectent un certain nombre de normes de sécurité.

En comparaison, on estime que 39 millions de personnes travaillent dans la pêche de capture.7 Les clauses des traités tels que la Convention SOLAS ne concernent généralement pas les pêcheurs, les observateurs (des spécialistes indépendants qui collectent des données à bord des navires de pêche commerciaux) ou les navires de pêche. De plus, la Convention du travail maritime de 2006 ne s’applique pas aux navires de pêche.

En raison de l’insuffisance des contrôles dans l’industrie de la pêche commerciale, les navires peuvent naviguer et pêcher avec peu de mesures de sécurité en place, voire aucune.

4. Les personnes marginalisées sont les plus à risque.

Les pêcheurs migrants représentent une grande partie des travailleurs en haute mer.8 Ils travaillent souvent de manière isolée, ne parlant pas la langue des autres membres de l’équipage ou du capitaine.

Les réglementations laxistes qui régissent le transbordement en mer, la pratique qui consiste à transférer le poisson d’un navire à l’autre, permettent également de déplacer des équipages d’un navire à l’autre sans faire escale dans un port, ce qui les fait souvent rester en mer plusieurs années d’affilée. En l’absence d’obligation d’inspecter les navires opérant en haute mer, les occasions de vérifier les conditions de sécurité sont limitées. Les équipages travaillent donc pendant de plus longues périodes sans avoir la possibilité de demander de l’aide ou d’apporter des améliorations.

5. L’exploitation des ressources et des équipages est favorisée par le manque de gouvernance des États du pavillon.

De la même façon que les opérateurs peu scrupuleux peuvent ne pas déclarer toutes leurs captures ou pêcher illégalement pour maximiser leur profit, ils peuvent aussi forcer leurs équipages à travailler dans des conditions dangereuses sans formation adéquate ni équipement de sécurité. Pour minimiser les coûts, des équipements inadaptés peuvent être utilisés ou des modifications inappropriées apportées au navire afin d’augmenter les captures. Les navires peuvent naviguer pendant de longues périodes sans jamais faire l’objet d’inspections ou de certifications de sécurité, ce qui multiplie le risque d’accidents mortels.

Un traité international juridiquement contraignant définissant des normes de sécurité permettrait aux autorités maritimes de lutter contre l’exploitation des travailleurs sur les navires.

6. Les États peuvent contribuer à améliorer la sécurité des navires en ratifiant l’Accord du Cap.

En 2012, au Cap en Afrique du Sud, les États sont parvenus à un accord sous l’égide de l’OMI pour améliorer la sécurité et les conditions de travail des pêcheurs commerciaux et des observateurs. L’Accord détaille les normes relatives à la conception, la construction et l’équipement, dispositifs de sécurité compris, des navires de pêche d’une longueur égale ou supérieure à 24 mètres. L’Accord du Cap décrit également les réglementations visant à protéger les équipages et les observateurs et préconise la mise en place d’inspections harmonisées portant sur la pêche, la main-d’œuvre et la sécurité. Il entrera en vigueur lorsque 22 États, représentant une flotte combinée de 3 600 navires de pêche éligibles, l’auront signé. L’Accord peut compléter des politiques existantes comme l’Accord relatif aux mesures du ressort de l’État du port, un traité international destiné à lutter contre la pêche illicite et à autoriser l’inspection des navires dans les ports. L’Accord peut également être un moyen d’exiger des navires de pêche de posséder un numéro OMI et un système d’identification automatique afin de permettre aux États de les identifier et de les suivre efficacement, et par là même d’améliorer la transparence et la sécurité des équipages.

Lorsque tous ces éléments seront en place, le cycle économique qui perpétue le sous-investissement dans la sécurité des navires de pêche pourra être enrayé.

7. L’adhésion des États permettrait de relever les normes de sécurité au niveau mondial.

En signant l’Accord, les États qui ont déjà mis en place des réglementations pour la sécurité des navires de pêche, peuvent montrer la voie et encourager les autres États à se doter de réglementations sur ce sujet important. Ceux qui ne disposent pas de telles réglementations peuvent renforcer leurs normes afin de protéger les travailleurs les plus vulnérables.

Les décideurs ont ainsi l’opportunité de renforcer les normes de sécurité sur les navires de pêche et de garantir la sécurité des équipages du monde entier. L’adhésion des États à l’Accord faciliterait son entrée en vigueur. En attendant, les acheteurs de produits de la mer peuvent améliorer la sécurité et les conditions de travail au sein de leurs chaînes d’approvisionnement en mettant en œuvre les clauses de l’Accord, en achetant des produits auprès d’États ayant adhéré à l’Accord et en encourageant les États qui n’ont pas encore signé l’Accord à le faire. 

Conclusion

Le secteur de la pêche commerciale, notamment les navires qui se livrent à des activités illégales, est souvent à l’origine d’environnements dangereux et de mauvaises conditions de travail. La mise en œuvre de politiques visant à identifier et suivre les navires et à protéger les équipages réduirait les lacunes dont profitent certains opérateurs pour exploiter les océans et les personnes qui en dépendent.

L’entrée en vigueur d’un traité international juridiquement contraignant tel que l’Accord du Cap donnera aux États un outil puissant permettant de garantir la responsabilité des navires de pêche battant leur pavillon vis-à-vis de la sécurité de leurs équipages, le débarquement des captures dans un cadre sécurisé et légal et le respect de leurs obligations en tant qu’États du pavillon responsables.

Notes

  1. Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, « Report of the 31st Session of the Committee on Fisheries » (2014), http://www.fao.org/3/a-i4634e.pdf ; Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, « Joint FAO/IMO Ad Hoc Working Group on Illegal, Unreported, and Unregulated Fishing and Related Matters » (2000), http://www.fao.org/3/a-x9436e.pdf.
  2. Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, « Safety at Sea as an Integral Part of Fisheries Management » (2001), https://www.ntsb.gov/news/events/Documents/2010_Fishing_Vessel_Safety_FRM-29-FAO-Pub-966.pdf.
  3. Organisation maritime internationale, « The Work of IMO on the Safety of Fishing Vessels ». Présenté à la conférence des Nations unies sur la pêche qui s’est tenue à l’Université maritime mondiale de Malmö, en Suède, le 27 juin 2017.
  4. "Safety at Sea as an Integral Part of Fisheries Management" (2001), http://www.fao.org/docrep/003/x9656e/X9656E.htm.
  5. Nombre d’accidents mortels et de personnes disparues signalés à IHS Markit de 1995 à 2017.
  6. Organisation maritime internationale, « Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (SOLAS) », http://www.imo.org/fr/About/conventions/listofconventions/pages/international-convention-for-the-safety-of-life-at-sea-(solas),-1974.aspx.
  7. Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, « Safety at Sea ».
  8. Ibid.

Update Notice: In order to provide an active online resource to the material cited in the fact sheet, Endnote 4 was updated on February 8, 2018.