Les subventions à la pêche pèsent lourd sur la santé de l'océan

Selon un rapport récent, les aides à la pêche industrielle en Polynésie française vont à l'encontre des recommandations internationales

Les subventions à la pêche pèsent lourd sur la santé de l'océan
Les subventions néfastes à la pêche sont un facteur majeur de surpêche et sont estimées à 20 milliards de dollars à l'échelle mondiale.
The Pew Charitable Trusts

Notre océan est de plus en plus menacé. Selon le rapport « La situation mondiale des pêches et de l’aquaculture 2018 » de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, le pourcentage des stocks de poissons faisant l'objet d'une pêche non durable a triplé entre 1974 et 2015. Ce problème s'est aggravé avec les technologies permettant aux flottes de pêche de parcourir de plus grande distance et de rester plus longtemps en mer qu'auparavant. De plus, de nombreux gouvernements favorisent cette situation en octroyant des subventions néfastes à la pêche, un facteur majeur de surpêche, dont le montant est estimé à 20 milliards de dollars à l'échelle mondiale. 

En Polynésie française, la pêche industrielle est largement subventionnée par des fonds publics. Ainsi, les subventions publiques versées entre 2000 et 2017 sont estimées à 206 XPF (1,72 euro) par kilogramme de poisson débarqué, et 1,3 milliard XPF  (plus de 11 millions d'euros) ayant été versé pour la seule année 2017. Dans un rapport sur le financement public de la pêche hauturière en Polynésie française publié récemment, nous avons recensé le montant des aides publiques dédiées à la pêche et relevé les recommandations environnementales internationales concernant les subventions néfastes à la pêche.

Il apparaît que le niveau de fonds publics consacrés aux subventions à la pêche en Polynésie française va à l'encontre des recommandations internationales en la matière. La majeure partie des subventions publiques polynésiennes est destinée à la pêche industrielle plutôt qu'à la pêche côtière qui, elle, profite davantage aux collectivités locales. La stratégie du gouvernement visant à développer la pêche industrielle (doubler à terme la production et les rendements de la pêche hauturière, orientés vers l’exportation du poisson frais et congelé, et étendre la flottille dans les zones éloignées encore non pêchées) nécessiterait probablement une augmentation des subventions publiques.

Dans le monde, les subventions à la pêche industrielle sont largement reconnues comme étant néfastes pour la santé globale de l'océan. Elles contribuent à encourager la surpêche et entraînent une diminution des populations de poissons. En effet, ces subventions permettent à de plus en plus de navires de convoiter des poissons de moins en moins nombreux. L'ampleur et les effets des subventions néfastes à la pêche sont si importants que l'Objectif de développement durable 14.6 des Nations Unies recommande de les éliminer d'ici 2020 pour protéger l'océan. Les membres de l'Organisation mondiale du commerce se sont engagés à adopter d'ici fin 2019 un accord qui vise à interdire les subventions à la pêche contribuant à la surcapacité et à la surpêche et à éliminer les subventions à la pêche illégale, non déclarée et non réglementée.

En Polynésie française, les solutions pour réformer les subventions à la pêche pourraient consister à réaffecter les aides publiques au profit des communautés locales pour la pêche lagonaire et côtière, ou à investir dans des mesures de protection des ressources marines en créant des aires marines protégées (AMP).

Les recherches montrent que les AMP bien gérées autorisant peu ou pas d'activités extractives présentent des avantages écologiques remarquables, notamment une plus grande diversité et densité d'espèces, la présence d'un plus grand nombre d'espèces clés comme les requins, une pêche plus saine et une meilleure résilience des écosystèmes. Des stocks de poissons en bonne santé sont également essentiels à la résilience des écosystèmes face aux impacts des changements climatiques et des activités humaines.

Les organismes internationaux ont formulé d'autres recommandations visant à mieux protéger les milieux marins. Par le biais de sa Convention sur la diversité biologique, l'Organisation des Nations Unies s'est fixé comme objectif de protéger 10 % des océans d'ici 2020. Actuellement, seuls 4,8 % de l'océan bénéficient d'une forme de protection, et seuls 2,2 % de l'océan bénéficient d'un niveau élevé de protection. En 2016, les membres de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) ont préconisé la protection d'au moins 30 % de l'océan d'ici 2030 par le biais de la création d'un réseau d'aires marines protégées (AMP) interdisant toute activité d'extraction et de la mise en place d'autres mesures de protection efficaces. Si cet objectif est atteint grâce à la désignation de vastes réserves marines entièrement protégées et que la pression sur les stocks de poissons est réduite grâce à l'élimination des subventions néfastes à la pêche, l'océan et notre avenir pourront être plus durables.

Créer des AMP pour protéger les populations de poissons permettrait aux décideurs de protéger les milieux marins et d'investir dans l'avenir des collectivités qui dépendent de stocks de poissons sains. Autrement, l'industrie de la pêche elle-même risque d'être menacée et avec elle, les stocks de poissons et les populations insulaires qui en dépendent.

Jérôme Petit est directeur du projet Héritage des océans de Pew et Bertarelli en Polynésie française et Donatien Tanret est chargé de mission de ce projet.